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Louis Le Chatelier


Louis Le Chatelier

Louis Le Chatelier

Biographie

Antoine de Lavoisier est l'un des 72 savants dont le nom est inscrit sur le premier étage de la tour Eiffel. Il est le 5e, sur la face tournée vers l'Est.


Louis Le Chatelier, ingénieur, est né à Paris le 20 février 1815. Il est mort dans la même ville le 10 novembre 1873, enlevé prématurément à l'âge de 59 ans, dans la force intellectuelle et l'éclat de la renommée. Esprit multiple, aux vues larges et encyclopédiques, l'art des mines et de la métallurgie, l'exploitation des chemins de fer, l'agronomie, lui doivent des travaux de premier ordre. C'était une intelligence créatrice, avec le sens très pratique de la vulgarisation immédiate. On peut le considérer aussi comme un des fondateurs des lignes ferrées en France.

Louis Le Chatelier est peut être l'un des plus modestes, parmi ces célébrités, mais ce n'est pas un des moins méritants et l'un de ceux dont l'œuvre soit la moins féconde. C'est principalement dans les dernières années de sa vie que nous avons pu l'observer de très près, à l'époque où il venait d'acquérir une propriété dans une partie nouvellement desséchée du département des Landes, à l'ouest de Bordeaux. Il avait formé le projet d'en achever l'assainissement par une méthode nouvelle et au moyen d'engrais spéciaux, dont il avait étudié la nature et préparé la composition d'après les éléments des terres dont il avait fait de nombreuses analyses. Sur ces questions spéciales de chimie agricole, il avait eu, en ma présence, de fréquentes conférences avec mon père, fort compétent dans la matière.

Louis Le Chatelier avait fait à Paris, au collège Roilin, de brillantes études, couronnées, l'année de son entrée à l'Ecole polytechnique, par un succès peu commun : le premier prix de mathématiques spéciales et le second prix de physique au Concours général. Il fut admis en 1834 dans ce glorieux établissement, pépinière de la plupart des grands savants du XIXe siècle. En 1830 il en sortit dans les premiers numéros, pour passer à l'Ecole des Mines. Il y fit ses études complètes, en deux années seulement, et, à la suite, il accomplit un seul voyage d'instruction de sept mois, dans le Nord de la France, en Belgique, puis en Allemagne.

A cette époque, l'industrie des mines et la métallurgie prenaient leur essor. Louis Le Chatelier y appliqua ses remarquables aptitudes, après avoir observé l'état de toutes les questions techniques. C'est ainsi qu'il vit dans le département du Pas-de-Calais les recherches par sondages qui se faisaient pour trouver le prolongement du bassin houiller du département du Nord, recherches qui furent alors infructueuses, mais qui devaient être reprises quelques années plus tard avec un éclatant succès. En Belgique, il visita les nombreuses mines à fer nouvellement créées ou en voie de création. En Allemagne, il étudia les premières échelles mécaniques et les premiers emplois des câbles en fil de fer mis au service de l'extraction, en remplacement des câbles ou des chaînes. Il étudia aussi l'emploi de l'air chaud, inventé quelques années auparavant en Ecosse pour les hauts-fourneaux, et qui commençait à jouer un rôle important dans la métallurgie. Il s adonna ainsi aux méthodes nouvelles au moyen desquelles Plattner, en Ecosse, montrait que le chalumeau, dans certaines conditions, pouvait devenir un instrument très précieux pour les analyses quantitatives et qualitatives de la chimie métallurgique.

Le résultat de ce voyage, fécond en longues études, fut la composition successive de quatre Mémoires importants, qui obtinrent les honneurs de l'insertion aux Annales des Mines. Ce travail terminé, Louis Le Chatelier fut envoyé en résidence à Angers avec le titre d'aspirant, et fut nommé ingénieur ordinaire de seconde classe, le 1er juin 1841. Au point de vue industriel, la contrée n'était que d'une importance secondaire. Pour un esprit investigateur, ce champ d'action limité ne devait pas rester stérile. Louis Le Chatelier profita de sa situation pour entreprendre l'étude nouvelle et complète des houilles des bassins de la Vendée, ainsi que les minerais de fer des environs de Segré, exploités par les anciens et puis délaissés. Il les signala à l'attention des maîtres de forge, et c'est à dater de cette époque qu'ils ont pris une importance sérieuse. Dans ces fonctions, il étudia encore l'action des eaux corrosives employées dans les mines et les carrières à l'alimentation des chaudières à vapeur. Son Mémoire fut apprécié en haut lieu et jugé assez important par l'administration supérieure pour être inséré dans les Annales des Mines, puis tiré à part et envoyé aux préfets avec une circulaire officielle en date du 12 octobre 1841.

Nous touchons, à ce moment-ci, à une époque solennelle pour la France et pour la carrière de Louis Le Chatelier. C'est à cet instant que la grande industrie des chemins de fer, après de longues hésitations et des pronostics fâcheux, restés célèbres, parce qu'ils étaient émis par des orateurs illustres, dans nos Chambres politiques, allait enfin prendre en France un développement définitif. A la fin de 1842, nous n'avions encore que 600 kilomètres de lignes ferrées, en tronçons isolés, dans la Loire, le Nord, l'Alsace, le Gard, l'Hérault. De Paris même, on ne pouvait se rendre en chemin de fer qu'à Saint-Germain-en-Laye, Versailles et Corbeil. La Belgique comptait des voies plus étendues que les nôtres. Cependant les lignes de Rouen et d'Orléans étaient en construction et beaucoup d'autres en projet ou en préparation. Les pouvoirs publics, en outre, après les débats auxquels nous avons fait allusion plus haut, avaient promulgué la fameuse loi de 1842. Il était évident qu'ils s'ouvraient de brillantes perspectives aux ingénieurs capables d'entrer résolument dans cette carrière nouvelle. Louis Le Chatelier n'hésita pas. Il demanda et il obtint en 1843 de passer dans le service du contrôle, où il resta jusqu'en 1845, occupé aux questions capitales de tracé, de construction et d'exploitation. Dans l'intervalle, en 1844, il avait reçu du gouvernement de Louis-Philippe la mission d'aller étudier les mêmes questions sur place, en Allemagne, qui avait alors l'avantage de compter 2830 kilomètres de chemins de fer en exploitation, c'est-à-dire quatre fois plus que nous.

Le Chatelier rapporta de ce voyage un ouvrage extrêmement important, nourri de faits et de vues larges. Il parut en 1845 sous le titre de : Chemins de fer d'Allemagne. Il fut du plus utile secours à tous les ingénieurs français, qui y trouvèrent la description complète du réseau allemand, et pour chaque ligne, le système d'exécution, le tracé, la voie, les stations, le matériel, les frais d'établissement, l'exploitation et le produit de l'exploitation. Ce travail capital fit date dans la carrière de son auteur qui, en 1846, demanda à l'administration des mines un congé pour prendre un rôle actif comme ingénieur de chemins de fer. C'est à ce titre que de 1846 à 1848, il fut successivement chargé d'organiser le service du matériel sur le chemin de fer du Nord, puis l'exploitation et la traction sur le chemin de fer du Centre Ensuite il fut chargé de préparer la voie de celui de Paris à Chartres.

Dans le même temps, selon son habitude constante de mener de front, avec ses occupations principales, des travaux spéciaux d'espèce différente et très absorbante, il fit, avec Ernest Gouin, le grand constructeur qui appartient aussi au Panthéon Eiffel, des expériences intéressantes sur les locomotives en marche. Sa part contributive dans ces recherches expérimentales a été exposée dans une brochure publiée en 1849 sous le titre de : Etude sur la stabilité des machines locomotives en mouvement. On peut ainsi résumer l'objet de cette étude, si importante pour l'exploitation des chemins de fer, et dans laquelle Louis Le Chatelier a fait preuve d'une rare sagacité d'esprit. On sait que dans une machine quelconque en mouvement, les diverses pièces qui la forment, indépendamment des forces extérieures qui sont appliquées au système, sont soumises à des réactions mutuelles dues aux forces d'inertie développées sur tous les points matériels dont le mouvement n'est pas actuellement rectiligne et uniforme. Il va de soi que la force d'inertie est généralement plus grande, pour un point matériel donné, que sa masse, sa vitesse et son accélération sont d'autant plus grandes. En particulier, dans une locomotive circulant d'un mouvement uniforme, sur une voie, les points matériels qui tournent avec les essieux des roues sont tous animés par une certaine force centrifuge. Toutes ces forces ne s'annulent pas si l'axe de l'essieu n'est pas un axe principal de rotation passant par le centre de gravité. D'autre part, les pièces animées d'un mouvement alternatif, comme, par exemple, le piston et sa tige, réagissent sur le bouton de la bielle qu'ils conduisent, avec une force variant d'intensité et de sens, selon la valeur et la direction de leur accélération actuelle. Toutes ces forces, dues à l'inertie, variables d'un instant à l'autre en direction ou en grandeur, ou à la fois en grandeur et en direction, peuvent être calculées. C'est ainsi que l'on reconnaît que dans une locomotive allant à grande vitesse, elles peuvent prendre des valeurs numériques comparables aux forces extérieures qui sont en jeu sur la machine.

Considérées dans leurs composantes horizontales et leurs composantes verticales, ces forces sont capables de donner des couples tendant à produire des oscillations autour de trois axes rectangulaires, l'un vertical, les deux autres horizontaux, l'un parallèle et l'autre transversal à la voie. C'est de là que résultent les mouvements parasites connus sous le nom de mouvement de lacet, de roulis, de galop, ainsi que les pressions variables entre les rails et les jantes des roues. Louis Chatelier chercha à calculer les contre-poids à fixer sur les roues mêmes, pour faire disparaître ou amoindrir les effets de ces forces contradictoires. Il y parvint, au grand avantage de la douceur de la marche de la machine, ainsi que de la conservation et de l'uniformité d'usure des roues des machines et des rails de la voie. Le Chatelier est le premier qui se soit astreint à cette étude technique d'une façon spéciale et approfondie. La pratique des contrepoids recommandée par lui, a été adoptée dans tous les pays du globe. Cette invention a popularisé son nom dans les deux mondes. A la fin de 1849, Le Chatelier fut désigné pour remplacer, dans la direction du contrôle des chemins de fer du Nord, de l'Est et de l'Ouest. Bineau, qui venait d'être nommé ministre des travaux publics. Il conserva ces fonctions jusqu'au 21 mai 1850, époque à laquelle il devint ingénieur en chef de seconde classe. En 1852, il fut nommé membre de la commission centrale des machines à vapeur. Le 1er juin 1855, il quitta le service de l'administration et prit un congé qui devait se prolonger jusqu'au 1er octobre 1868. Durant les treize années de cet intervalle, il consacra sa vie, d'une façon très active, à toutes les entreprises financières et techniques qui, sous l'impulsion si remarquable des frères Emile et Isaac Pereire, ont transformé le monde économique et fait la richesse et la puissance matérielle de la France. Il participa à tous ces beaux travaux de canaux, de chemins de fer, de routes, de ponts, de viaducs, de mise en culture des Landes qui ont marqué en France ces années prospères. Il fit partie aussi, à cette époque, du comité de fondation de l'Encyclopédie du XIXe siècle, projetée par les frères Pereire et qui comptait parmi ses principaux membres Emile Augier, Baudrillart, Claude Bernard, Berthelot, Barral, Victor Duruy, Charles Duveyrier, Hervé Faye, Jamin, Littré, Milne Edwards, Sainte-Beuve, Vacherot, Viollet-le-Duc, Zeller. Le président était Michel Chevalier. MM. Emile et Isaac Pereire, qui avaient mis à la disposition de l'œuvre un million, s'étaient réservés la vice-présidence. M. Eugène Pereire, aujourd'hui président de la Compagnie transatlantique et fils d'Isaac Pereire, en était le secrétaire général. Le but grandiose de ce projet était celui-ci : "Exposer comment doivent être employées les différentes ressources intellectuelles, morales, matérielles, que présente la société moderne, pour la réalisation du progrès social que le genre humain poursuit depuis un siècle, et établir le bilan des grandes conquêtes de la science dans toutes les branches de l'esprit humain." Cent volumes du format in-octavo devaient être consacrés à ce beau projet. Des matériaux d'un prix inestimable ont été réunis et discutés par toutes ces sommités de l'intelligence, durant neuf années d'un travail préparatoire assidu et régulier. Les événements, à jamais déplorables, de 1870 et de 1871, ont mis un obstacle sacrilège et définitif à leur glorieuse terminaison. M. Eugène Pereire en possède les illustres débris. Il ne tient qu'à lui de sauver du néant, pour le plus grand bien de l'humanité et pour sa propre renommée et celle de ses augustes parents, quelques-uns de ces précieux manuscrits.

A la veille de l'année 1870, toutes ces affaires étant terminées ou sur le point de recevoir une solution définitive, Louis Le Chatelier rentra dans le corps des mines, mais sans reprendre le service ordinaire. Il fut chargé d'une mission scientifique, consistant à étudier les procédés alors usités en France et à l'étranger pour la marche à contre-vapeur des machines locomotives, ainsi que la méthode due à M. Siemens pour la production directe de l'acier et du fer fondu sur la sole d'un four à réverbère. La première idée, qui est devenue simple et féconde depuis qu'elle a été élucidée par Le Chatelier d'une façon définitive, était demeurée, jusque-là, pleine d'obscurité et stérile. Voici en quoi elle consiste.

De tout temps, on savait qu'en renversant l'admission dans une machine locomotive en marche, les pistons, au lieu de recevoir le travail moteur de la vapeur venant de la chaudière, et s'échappant ensuite à la cheminée, aspiraient l'air de la cheminée et la refoulaient dans la chaudière, recevant ainsi un travail résistant qui venait, soit sur les pentes, en déduction du travail moteur de la gravité, soit, quand il fallait ralentir ou arrêter, en atténuation de la demi-force vive possédée par le train. Mais avec ce système, on avait un prompt échauffement et un grippement des surfaces frottantes, une rapide augmentation de pression dans la chaudière et bientôt la suspension de l'injecteur Giffard servant à l'alimentation. L'usage du renversement de la distribution était donc peu pratiqué, jamais pour un long temps ou dans les circonstances normales, mais tout au plus accidentellement, dans quelques cas exceptionnels, par exemple lorsqu'un obstacle inattendu se présentait sur la voie, obligeant le mécanicien à uâer de toutes ses ressources pour arrêter son train le plus promptement possible. Divers moyens avaient été proposés pour éviter ces inconvénients en partie. Mais aucun n'était satisfaisant. L'idée de la contre-vapeur consiste essentiellement à amener, à l'aide de tuyaux munis de robinets, à la base de l'échappement ou dans la boîte du tiroir, un mélange approprié d'eau et de vapeur venant de la chaudière, ou même, plus simplement, de l'eau de la chaudière, qui forme, dans le tuyau d'échappement, en revenant à une pression peu supérieure à la pression atmosphérique, le mélange indiqué. Cette idée appartient bien à Le Chatelier qui, le premier, a démontré expérimentalement que le mélange d'eau et de vapeur doit être, dans l'échappement, en quantité telle, qu'on voit un panache de vapeur humide sortir par le haut de la cheminée. On est certain alors que les pistons aspirent, non de l'air, mais une atmosphère artificielle formée de vapeur sursaturée, analogue à de l'eau pulvérisée. Dès lors, toutes les difficultés disparaissent. Aujourd'hui toutes les locomotives sont munies de ce dispositif très simple qui met aux mains du mécanicien un moyen puissant et toujours prêt pour modérer la vitesse en toutes circonstances. Un diplôme d'honneur décerné à Le Chatelier à l'Exposition universelle de Vienne, en août 1873, est venu consacrer définitivement le haut mérite de cette invention.

Le procédé de Le Chatelier pour la production directe de l'acier fut tenté en France dans les usines de Fourchambault. Il échoua parce que, par esprit d'économie, au lieu défaire venir des briques siliceuses d'Angleterre, on prit des briques insuffisamment réfractaires. Le four fondit, on renouvela l'essai dans des conditions convenables, et il réussit complètement.

Le 16 juin 1872, Louis Le Chatelier fut nommé au grade d'inspecteur général dans le corps des mines. A la même date, il prit sa retraite, motivée, non par la fatigue et le besoin de repos, mais par la surdité dont il était affecté. Cette renonciation au service administratif fut pour lui le signal de nouveaux travaux d'agronomie et de chimie, que la mort vint interrompre brutalement au bout de quelques mois.

Louis Le Chatelier avait un esprit prompt, pratique, sympathique. De relations sûres et délicates, c'était un ami fidèle, un collègue dévoué. Officier de la Légion d'honneur et de l'ordre de Léopold de Belgique, commandeur de l'ordre de Charles III d'Espagne, chevalier de l'ordre de François Joseph d'Autriche, membre du conseil de la Société d'encouragement pour l'Industrie nationale, il était tout désigné pour entrer prochainement à l'Institut. Son nom a été donné à une des rues de Paris, sur la rive droite de la Seine. Son éloge a été écrit par M. Gallon, inspecteur général des mines, et inséré dans les Annales des Mines. Un discours a été prononcé sur sa tombe, le jour de ses funérailles, par M. Gruner, inspecteur général des mines, et M. A. Ronna lui a consacré une notice dans le journal le Temps du 15 novembre 1873.

Le portrait ci-dessus a été fait d'après une photographie communiquée par la famille. Louis Le Chatelier a laissé une fille et cinq fils, qui portent dignement son nom dans les carrières qu'ils ont choisies.



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