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Travail en atelier


Pendant que les travaux de fondation s'exécutaient dans le Champ-de-Mars, on mettait en train le travail à l'atelier dans les usines de Levallois-Perret, tant comme études que comme préparation des fers.

Ces études, indépendamment des calculs donnés précédemment, d'après lesquels chacune des sections était rigoureusement déterminée, ont été très laborieuses et cela pour deux motifs. Le premier tenait à ce que les épures présentaient de sérieuses difficultés : les pièces à assembler étaient toujours situées dans des plans obliques à inclinaisons variables et en outre elles étaient à peu près toutes dissemblables. Le second motif était la conséquence de notre mode de travail habituel, à l'application duquel nous avons tenu plus strictement que jamais en raison des difficultés spéciales de la construction. Dans ce mode, on écarte l'établissement des épures en grandeur servant au tracé de calibres que l'on reporte ensuite avec plus ou moins de précision sur les différentes pièces à assembler. On établissait au contraire le dessin de chaque pièce isolée, en calculant avec une rigueur qui exigeait l'emploi constant des logarithmes, la position sur celle-ci des différents trous de rivets par lesquels est obtenue sa liaison avec les pièces voisines. Tous les écartements des trous étaient calculés mathématiquement à un dixième de millimètre près. Chaque pièce exigeait donc une étude particulière et un dessin spécial que l'on établissait le plus habituellement en demi-grandeur pour les petites pièces et au cinquième pour celles de plus grandes dimensions.

Cette méthode est complètement différente de celle employée dans les grands travaux anglais, même dans le beau pont du Forth. Pour ceux-ci, on n'établit guère que des dessins d'ensemble; les épures elles-mêmes, dessinées en grandeur, sont très sommaires et on ménage un grand nombre de trous à percer sur place à la demande du montage. Par notre méthode, au contraire, tous les trous étaient percés à l'avance avec une grande précision, le montage était réglé par les trous eux-mêmes et c'était en brochant, c'est-à-dire en enfonçant à force dans les trous un grand nombre de broches coniques en acier, qu'on amenait la pièce à assembler dans sa position rigoureuse. Quand la coïncidence était complète, aucune vérification du montage n'était à faire; on était sûr que tout marchait bien et que le montage, tel qu'il était prévu, se réalisait. Il y avait ainsi une préparation absolue et complète des différentes pièces hors du chantier, et sur le chantier, simplement la mise en place et l'assujettissement scrupuleux des pièces les unes avec les autres. Voici ce que dit à ce sujet M. Alfred Picard dans son Rapport Général :

Malgré l'importance du travail de montage, on n'a pas vu sur le chantier ces équipes nombreuses que l'on pouvait s'attendre à y trouver; le nombre des ouvriers n'a point dépassé 250 : c'est qu'en effet on avait réduit au minimum non seulement l'usage de la force humaine, mais aussi les opérations à pied d'œuvre. Les pièces arrivaient des ateliers de Levallois-Perret préparées jusqu'à l'extrême limite de ce qu'il était possible de ne pas faire au Champ-de-Mars; il n'y avait plus aucun trou à percer, aucun ajustage à opérer; la plupart des rivets étaient posés; les éléments de la construction s'adaptaient les uns aux autres, sans aucune retouche.

A ce dernier point de vue, le montage de la Tour mettait bien en lumière la différence profonde qui existe entre la méthode française et la méthode anglaise. Dans la Grande-Bretagne, le travail est généralement poussé beaucoup moins loin à l'atelier et, par suite, bien plus développé sur le lieu d'emploi; les pièces ne sont pas préparées avec un soin aussi minutieux à l'usine; elles arrivent plutôt dégrossies que finies; après les avoir présentées, le monteur les retouche, s'il y a lieu, et en achève la préparation.

Quelle est de ces deux méthodes la meilleure? Sans me prononcer, je puis dire tout au moins que celle des constructeurs français a des mérites incontestables ; elle ne laisse rien à l'imprévu, elle assure à toutes les parties de la construction une précision rigoureuse, elle restreint et simplifie les ateliers de montage.

Pour donner une idée de l'importance du travail des études, il suffit de dire que le bureau d'études proprement dit, dirigé par M. Maurice Kœchlin, a fait pour l'ossature de la Tour seule, non compris les ascenseurs et les travaux accessoires tels que soubassements, escaliers, réservoirs, restaurants, etc., plus de 1 700 dessins d'ensemble; que le bureau de détail dirigé par M. Pluot a établi 3 629 dessins pour l'exécution. La surface de ces 5 300 dessins dépasse 4 000 m2. Quant au nombre des pièces différentes qui y sont détaillées, il s'élève à 18 038. Cette œuvre considérable a exigé le travail assidu de trente dessinateurs pendant dix-huit mois.

Les fers ont été commandés aux usines de MM. Dupont et Fould, à Pompey (Meurthe-et-Moselle); les essais ont accusé les résistances et les allongements moyens suivants pour des éprouvettes de 200 mm de longueur.

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Leur fabrication n'a jamais rien laissé à désirer et tous les efforts ont été faits par cette usine pour ne nous livrer jamais que des fers d'excellente qualité.

Le travail marcha dans les ateliers avec la plus grande régularité à raison de trois à quatre cents tonnes par mois, de juin 1887 à mars 1889. Le total des fers livrés par l'atelier a été de 6 360 tonnes. Ce poids est notablement inférieur au poids réel de la Tour, parce qu'il ne comprend pas le poids des rivets posés sur place ni celui de pièces accessoires livrées directement au chantier.

Tous les assemblages avaient été étudiés avec le plus grand soin au point de vue de la facilité du montage et du nombre minimum de rivets à poser sur place. En outre, afin d'éliminer toute chance d'erreur ou même de simple retouche sur place, ce que l'on voulait à tout prix éviter, toutes les pièces avant leur sortie de l'atelier étaient présentées à plat par une série de montages successifs, avec celles auxquelles elles devaient s'assembler.

Ainsi il n'a été fait aucun de ces montages en grand des pièces suivant leur position respective réelle, que l'on fait souvent pour s'assurer une complète sécurité. En raison des dimensions considérables des pièces de l'ouvrage, il eût été une cause de gêne, de retard et de dépenses inutiles. Il a été remplacé avantageusement par une série de petits montages à plat dans lesquels toutes les pièces passèrent deux à deux au contact, sans qu'aucune échappât à la vérification nécessaire.

Grâce â toutes les précautions prises, aucune erreur ne s'est produite, et ce travail, qui est d'une complication telle qu'elle nous a étonnés nous-mêmes au fur et à mesure que l'exécution s'avançait, s'est fait de telle façon que, sans exagération aucune, on peut déclarer que cette exécution a été irréprochable. Ce résultat était dû non seulement aux soins qu'y ont apportés M. Létourneau, chef d'atelier, ainsi que MM. Pentecôte et Gagnot, contremaîtres; mais aussi, pour tout le personnel, à un ensemble de conditions résultant d'une longue expérience des grands travaux et d'une émulation bien difficile à rencontrer et à maintenir. Chacun, en vue du but à atteindre, se faisait un point d'honneur d'y apporter le concours le plus dévoué.



Voir aussi :

Construction de la tour Eiffel

Histoire de la tour Eiffel


La tour Eiffel



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