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Les vaches sacrées


De toutes les surprises que l'Inde réserve aux touristes, celle de la vache sacrée est sans doute la plus connue et la plus amusante. Quoi de plus curieux pour un occidental que de voir ces vaches déambuler librement dans les rues, insensibles aux embouteillages qu'elles provoquent parfois.

On peut alors légitimement se demander pourquoi, dans un pays aussi pauvre, dont certaines régions sont encore victimes de famine, la vache n'est pas exploitée pour sa viande comme dans les riches pays industrialisés. Pourquoi le culte de la vache, commun à toutes les civilisations de l'antiquité notamment méditerranéennes (Apis chez les Égyptiens, le Minotaure et Io chez les Grecs), a-t-il perduré en Inde ? Pour les hindous, elle symbolise la vie, elle est celle que Krishna protège. Dans les campagnes la vache est considérée comme un membre de la famille et la naissance d'un veau est fêtée comme celle d'un enfant.

C'est cette question que Marvin Harris, un anthropologue américain, se posa dans les années 70. Il cherchait à montrer à travers divers exemples que les croyances et les traditions religieuses servaient souvent un but pratique. Il pensait que c'était les conditions matérielles de la vie quotidienne qui avaient un grand impact sur l'idéologie et non l'inverse. Il étudia donc cette curieuse tradition de la vache sacrée en Inde.

Des vaches en plein centre ville

Des vaches en plein centre ville

Harris remarqua que les bœufs étaient essentiels à l'agriculture indienne, qu'ils étaient le principal moyen de trait et de transport dans les campagnes. Il s'aperçut alors que le nombre de bœufs en Inde était largement inférieur à celui nécessaire pour satisfaire la demande. Le bœuf est donc un bien précieux. Pour un paysan indien, un bœuf malade est une catastrophe. Il devra soit en racheter un, soit en louer un autre, donc emprunter de l'argent et s'endetter. De nombreux paysans indiens ont été obligé de quitter leur campagne car ruinés ou incapables d'acheter un autre bœuf. De plus, un bœuf ne se fabrique pas à la demande comme un tracteur, il faut une vache pour lui donner naissance. Le propriétaire d'une vache possède donc le moyen de "fabriquer" et de vendre des bœufs. Les vaches indiennes sont très résistantes et elles se contentent de peu de nourriture. Elles mangent peu de végétaux réservés à l'homme, elles mangent surtout des déchets impropres à la consommation humaine. Il n'y a donc pas de concurrence entre vaches et hommes.

En occident les trois-quarts des terres cultivables sont utilisées pour la seule production de nourriture pour bétail. Si l'Inde appliquait la même politique, la part des terres cultivables réservées à la nourriture humaine se réduirait de telle sorte que le pays ne pourrait plus s'alimenter comme il le fait actuellement.

L'Inde est encore un pays en voie de développement en ce qui concerne l'agriculture. Elle n'a pas les moyens de développer une agriculture mécanisée qui serait d'ailleurs incompatible avec l'agriculture de type familial qui fait vivre quantité de personnes. L'utilisation d'engrais chimiques est donc très peu répandue. Les paysans utilisent donc des engrais naturels dont la bouse de vache fournie gratuitement et facilement utilisable. De plus, une fois séchée, la bouse sert de combustible pour le foyer familial. Sur les 700 millions de tonnes de fumier produites annuellement, la moitié est utilisée comme engrais, l'autre moitié comme combustible.

Bouses séchées servant de combustible de chauffage

Bouses séchées servant de combustible de chauffage

Diluée dans une grande quantité d'eau, la bouse est également étalée sur les sols. En séchant, cette pâte forme un revêtement qui protège de la poussière et de la chaleur. Le ramassage de la bouse est confiée aux basses castes et fait vivre bon nombre de personnes.

Les vaches, même mortes, servent encore puisque certaines castes utilisent leur peau pour en faire des objets en cuir. Quand elles meurent de cause naturelle, les vaches sont mangées par certains membres des basses castes. La tradition du culte de la vache assure donc que la viande arrivera dans l'assiette des plus pauvres et des plus affamés. Ce culte protège également les paysans de la tentation de tuer ou vendre leur bétail pendant les périodes de disette, car ce sacrifice leur permettrait certes de se sortir d'une mauvaise passe mais il ne leur permettrait plus de cultiver la terre ensuite.

À la lecture des études de Harris, certains économistes ont préconisé la réduction du nombre de vaches afin d'améliorer la productivité de lait et de bouse des meilleurs éléments. Le nombre diminuerait mais sans faire chuter la production. Mais pour garder les meilleurs éléments du bétail, il faut sacrifier les autres or les moins bonnes vaches appartiennent aux plus pauvres. Ceux-ci seraient alors obligé d'aller dans les grandes villes déjà surpeuplées pour chercher du travail.


Conclusion

Harris a donc démontré que l'amour de la vache n'est pas seulement spirituel mais qu'il s'inscrit dans une démarche matérielle logique. L'Inde utilise bien plus efficacement ses bovins que les pays industrialisés qui gaspillent une quantité d'énergie considérable. La valeur calorique de ce que consomme une vache occidentale est bien supérieure à la valeur calorique de sa viande.

L'Inde consommera peut-être un jour de la viande de vache mais actuellement, en dehors de toute considération religieuse, cette consommation serait sans effet bénéfique sur l'économie indienne. Le culte de la vache reflète donc sa réelle importance en tant que ressource.



Voir aussi :

La médecine indienne

Culture de l'Inde





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