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Grues de montage de la tour Eiffel


Pour le montage des pièces à partir de la base pour la pile 3 et à partir du deuxième panneau pour les autres, on se servit de grues spéciales, qui nécessitent que nous nous y arrêtions assez longuement, parce quelles furent utilisées jusqu'à l'achèvement des travaux et qu'elles nous rendirent les plus grands services. Elles ont été étudiées avec le plus grand soin et réalisées avec un rare succès par M. Guyenet, ingénieur-constructeur, d'après le programme que nous lui avions tracé.

Nous avons vu qu'à l'intérieur de chaque montant et au-dessus de l'arbalétrier le plus rapproché du centre de la Tour, se trouvent les chemins des ascenseurs. Ce sont deux grandes poutres inclinées suivant la même direction que l'arbalétrier, ayant une hauteur de 1,30 m, et qui sont comme les rails gigantesques de la voie suivie par les cabines des ascenseurs.

C'était cette même voie qui devait être utilisée au fur et à mesure de sa mise en place, pour servir de chemin à la grue.

Comme celle-ci devait pouvoir amener à leur position définitive toutes les pièces composant le montant et en particulier les poutres des ascenseurs, elle montait elle-même la voie suivant laquelle on devait la hisser.

Chaque pilier devait être muni d'une grue semblable, d'une force de 3 000 kg et d'une portée pouvant varier de 5,5 m à 12 m, afin de desservir aisément tous les points du plan de pose compris entre les quatre arbalétriers d'un montant.

Par suite de ces conditions, ces grues devaient être rotatives et à portée variable : elles devaient, de plus, à cause des changements d'inclinaison du chemin à parcourir, être munies d'un mécanisme permettant de rétablir facilement la verticalité de leur pivot, et enfin porter l'engin servant à les hisser sur les poutres des ascenseurs.

Schéma de la grue

Schéma de la grue

Le principe de la grue, telle qu'elle a été réalisée par M. Guyenet (voir fig. 117, ci-dessus), consiste à disposer sur les chemins d'ascenseurs un châssis en fer, C, qui peut, soit glisser sur ces chemins, soit s'y boulonner, et auquel est suspendue par une articulation à sa partie supérieure, une hotte en fer, D, ayant la forme de tronc de pyramide renversé qu'affecte la hotte ordinaire destinée à porter les fardeaux; dans cette hotte est installée la grue. A 2,50 m plus haut, mesurés suivant l'inclinaison, se trouve une traverse en fer, G, qui peut également, soit glisser sur le chemin, soit s'y boulonner. La traverse et le châssis sont reliés par une forte vis, H. En déboulonnant le châssis et en tournant la vis, on peut amener celui-ci au contact de là traverse, il est boulonné dans cette position; on peut alors, après avoir déboulonné la traverse, tourner la vis en sens contraire et, en prenant cette fois son appui sur le châssis, la porter à 2,50 m plus haut. L'appareil entier aura ainsi monté de 2,50 m.

Pour opérer avec toute sécurité et pour que le châssis portant la grue ne soit pas simplement suspendu à une vis en mouvement, on a disposé, en bas, une traverse V analogue à celle du haut, de 0,50 m de hauteur, portant des vérins à petite course, suivant le châssis dans sa montée et prête à le recevoir en cas de rupture de la vis.

En manœuvrant alternativement dans un sens ou dans l'autre la grande vis et simultanément les petites vis, pour lesquelles la manœuvre de la traverse est plus fréquente, on arrive, par une série de cheminements progressifs, à monter l'ensemble de l'appareil à toutes les hauteurs.

Le simple exposé de ce principe facilitera l'intelligence de la description qui va suivre, de cet appareil représenté en perspective cavalière dans la figure ci-dessus et dans tous les détails dans la planche XXIV , fig. 1, 2, 3, 4 et 13.

Nous l'empruntons, ainsi que quelques autres détails qui vont suivre, à une communication faite en 1890 à la Société d'encouragement pour l'Industrie nationale, par M. E. Nouguier, notre ingénieur, que nous avions chargé de la direction des travaux de montage.

L'appareil comporte :

  1. Un châssis mobile, CC, qui est boulonné sur les poutres d'ascenseur quand la grue fonctionne et qui peut glisser sur ces mêmes poutres, quand il devient nécessaire d'élever le niveau de la grue.
  2. Un ensemble de pièces métalliques formant une sorte de hotte, D, portant, à sa partie supérieure, la plate-forme U de la grue et, à sa partie inférieure, la crapaudine du pivot de la grue. Cette hotte est suspendue au châssis CC par deux articulations situées dans le plan de la plate-forme et est reliée à la traverse inférieure du châssis par une vis. On comprend aisément, à l'inspection de la figure, qu'un homme placé sur le plancher spécial F peut, en manœuvrant cette vis, faire varier la position de la hotte et, par suite, ramener le pivot de la grue dans la verticale, quelle que soit l'inclinaison de la voie de l'ascenseur.
  3. La grue proprement dite. Celle-ci se compose : d'un pivot, JJ, qui repose, â sa base, sur la crapaudine portée par la hotte et qui est maintenu en son milieu par un cercle de roulement placé dans l'épaisseur du plancher de la plate-forme : d'une flèche L portant le treuil de levage S, flèche qui est reliée au pivot J, à son extrémité inférieure, par une articulation, et, à son extrémité supérieure, par deux tirants, M, réunis sur un essieu monté, N, qui peut se déplacer le long du pivot. Cet essieu porte un écrou actionné par une vis, O. Un volant, P, sur l'axe duquel est un pignon engrenant avec une roue dentée conique fixée à la vis, permet, en faisant monter ou descendre l'essieu N, d'augmenter ou de diminuer la volée de la grue. En agissant sur le même volant P, on peut également communiquer un mouvement de rotation à la grue. A cet effet, on commence, par débrayer le mécanisme de relevage et alors un second pignon monté sur l'axe du volant vient engrener avec une roue conique fixée sur un arbre vertical, dont l'extrémité inférieure porte un pignon commandant une crémaillère circulaire faisant partie du cercle de roulement. Un rochet et un cliquet d'arrêt empêchent la grue de tourner lorsqu'on lui a donné l'orientation voulue.

Le déplacement de la grue sur le chemin des ascenseurs s'opère au moyen de la grosse vis de halage H et des deux vérins de sécurité.

La vis H passe dans un écrou relié par deux tirants à la traverse supérieure du châssis C; elle porte à sa tête une traverse ou sommier mobile, G, pouvant glisser sur les poutres d'ascenseur B, ou se boulonner sur elles. Un cliquet, muni d'un levier qu'on manœuvre de la plate-forme U de la grue, sert à actionner cette vis.

Les vérins de sécurité V agissent au-dessous du châssis mobile, suivant l'axe des poutres d'ascenseur; ce sont des vérins à vis reliés par une entretoise X et qui portent à leur tête une butée â semelle qui s'applique contre la traverse inférieure du châssis mobile CC. L'entretoise et les butées peuvent tour à tour, soit glisser sur les poutres d'ascenseur, soit être fixées sur elles au moyen de boulons.

Quand on voulait élever la grue, on commençait par l'orienter de manière que sa volée vînt se placer dans l'axe du chemin des ascenseurs en restant tournée vers l'intérieur de la Tour. On agissait alors sur la grosse vis H de manière à amener la traverse de tête G à fond de course à 2,50 m plus haut que dans sa précédente position. On la boulonnait sur les poutres d'ascenseur BB et on déboulonnait ensuite le châssis mobile CC, qui se trouvait alors suspendu à la vis H et supporté, à sa base, par les vérins de sécurité V. On manœuvrait à nouveau la vis de halage H, et le châssis CC montait en glissant sur les poutres BB enlevant avec lui la grue et sa hotte. Des hommes installés sur le plancher Z suivaient avec les vérins de sécurité le mouvement ascensionnel en maintenant toujours la tête de ces vérins en contact avec la base du châssis, de sorte que ce dernier, en cas de rupture de la vis H, n'aurait pas pu tomber, retenu qu'il était par les deux vérins V.

La course de ceux-ci n'était que de 0,50 m, ce qui obligeait à faire un certain nombre de reprises pour accomplir l'entier déplacement de la grue. Quand ces vérins étaient arrivés à fond de course, on boulonnait leurs butées sur les poutres BB, on déboulonnait leur entretoises X qui, pendant le hissage, était restée fixée sur ces mêmes poutres BB. En manœuvrant les vérins, en sens inverse, ils faisaient monter l'entretoise de toute la hauteur de leur course. On la reboutonnait sur les poutres BB, on déboulonnait les butées et on recommençait une nouvelle marche en avant, en actionnant derechef et simultanément la grosse vis H et les deux vérins de sécurité V.

L'opération du relevage de la grue durait environ 18 heures et employait 10 hommes, outre le chef d'équipe.

Le montage de toutes les pièces constitutives des montants de la Tour a été fait avec les grues dont nous venons de donner la description. On commençait par monter les arbalétriers et, après eux, les barres de treillis et les entretoises qui, en réunissant les portions des piliers déjà montées, les obligeaient à venir occuper leur position exacte. Derrière les équipes de monteurs venaient les équipes de riveurs, qui remplaçaient les boulons provisoires, avec lesquels les premiers avaient fait les jonctions des pièces, par des rivets posés à chaud assurant la véritable et définitive liaison des pièces entre elles (fig. 118).

Schéma de la grue de montage

Schéma de la grue de montage

Au-dessous de chaque grue, au niveau des entretoisements horizontaux, on établissait un plancher presque général débordant en porte-à-faux sur tout le pourtour du montant. De plus, pour faire la rivure des joints et des assemblages, on se servait de petits échafaudages volants placés toujours à une faible distance du plancher général.

Le déplacement de ces planchers et de ces échafaudages s'opérait au moyen des grues.

Le montage des escaliers suivait autant que possible celui des montants, de sorte que les hommes, pour se rendre à leur poste de travail, se servaient de ces escaliers sur presque toute la hauteur du trajet et n'avaient à employer les échelles que vers la fin de leur ascension.

Pendant que, par les moyens que nous venons d'indiquer, on faisait le montage des quatre panneaux inférieurs des montants, on effectuait celui des premières poutres horizontales qui devaient les relier à 47,90 m au-dessus du sol.


Détails complémentaires sur la manoeuvre des grues

Le poids de chaque grue à vide atteignait 15 000 Kg; aussi la liaison du châssis aux poutres d'ascenseurs ne nécessitait pas moins de 170 boulons de 20 mm en acier.

La charge "nominale de 3 000 Kg a été souvent dépassée, et atteignait en réalité 4 000 Kg. En effet, les tronçons du panneau 5, qui pesaient 3 200 Kg, étaient suspendus par une chaîne à maillons calibrés de 22 mm, d'une longueur de 70 m ; comme son poids par mètre courant était de 11 Kg, son poids total atteignait 800 Kg environ avec le contrepoids. Aussi le treuil qui y était adapté était un treuil Bernier (chaîne calibrée engrenant sur une noix) de 4 000 Kg de force. Mais on avait soin, pour diminuer la fatigue de la grue quand elle montait cette charge, d'orienter la volée vers l'axe de la Tour et de relever la flèche autant qu'il était possible.

Le hissage s'opérait quand on avait terminé le montage d'un panneau, dont la hauteur moyenne était de 11 m, et quand les poutres d'ascenseurs étaient mises en place et rivées. On s'assurait d'abord du contact des vérins de sécurité, puis, en orientant la grue vers l'axe de la Tour et en relevant au maximum la volée, on remontait la traverse, qui était rattachée aux poutres par 32 boulons en acier de 20 mm. On déboulonnait le châssis, et le hissage s'effectuait au moyen de six hommes agissant sur un levier de 1,25 m, engagé dans le cliquet de la vis de relevage. Chaque coup de levier relevait la grue de 12 mm. Tous les 0,50 m environ, les calages de sécurité étant à bout de course, on plaçait 20 boulons et 10 broches dans le châssis et on reprenait les calages. Le relevage sur la hauteur d'un panneau durait environ dix-huit heures avec dix hommes et un chef d'équipe.

Dans la partie supérieure, le chemin des grues était formé par une double rangée de six châssis rectangulaires, interchangeables, de 3,96 m, de longueur, rattachés au poteau central par 384 boulons de 20 mm en acier; la longueur de ce chemin était de 23,77 m. Cette grande longueur de voie était motivée par la nécessité de répartir le poids de tout cet attirail de châssis et de grues sur une longueur suffisante.

Par surcroît de précaution, pendant le hissage des grues, on avait installé 4 palans à cordes moufles à 3 brins, de 8 000 Kg chacun. Ces palans étaient commandés par des treuils â tambour fixés sur l'entretoisement horizontal du panneau monté. Tout en aidant au hissage, ces palans étaient surtout disposés pour s'opposer au renversement et, au cas très improbable de rupture simultanée de la vis et du calage de sécurité, ils auraient pu supporter la charge de la grue.

Au fur et à mesure de la pose des tronçons du poteau central, on enlevait le châssis inférieur, qu'on replaçait à la partie supérieure du poteau, et le hissage de la grue s'effectuait comme sur les poutres d'ascenseurs. Pour résister au moment de torsion donné par le mouvement des cliquets pendant le hissage, les châssis étaient reliés par des barres rigides aux goussets d'attache des contreventements des tronçons des arbalétriers intermédiaires.

Cette manoeuvre, qui était relativement délicate, s'est toujours opérée normalement et n'a jamais donné lieu à aucun accident. La chute des grues pendant l'un de ces hîssages, aurait eu des conséquences si désastreuses, soit pour le personnel, soit pour l'ouvrage lui-même, qu'il aurait détruit en partie, que l'on avait accumulé pour l'éviter toutes les précautions matérielles possibles ; l'opération, confiée aux hommes les plus sûrs et les plus éprouvés, se faisait avec la continuelle présence du chef de chantier.

La durée d'une opération de relevage sur une hauteur de 10 mètres avec dix hommes et un chef d'équipe, était d'environ trente heures, soit trois journées, dont une pour le changement de châssis et deux pour le relevage de la grue.



Voir aussi :

Histoire de la tour Eiffel

Construction de la tour Eiffel


La tour Eiffel



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