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Construction des piliers


La construction des piliers forment la seconde grande partie de la construction de la tour Eiffel, la première étant les fondations. Ces fondations cachent 4 massifs sur lesquels prennent appuis les arbalétriers, points de départ de la structure métallique. Mais ce point de contact est assez spécial, il est décrit ci-dessous.


Appuis et vérins hydrauliques

Nous avons vu que les appuis sur lesquels doivent reposer les arbalétriers se composaient d'un sabot en fonte reposant sur la pierre de taille et d'un contre-sabot en acier moulé pénétrant dans le sabot et dans le vide intérieur de l'arbalétrier. Dans l'espace ménagé entre le sabot et le contre-sabot, on pouvait introduire un vérin hydraulique de 800 000 kg de force.

Ce vérin est représenté dans la planche VI (fig. 17 à 19). Son piston cylindrique est en fonte pleine. Son diamètre est de 0,43 m, sa hauteur, de 0,34 m. Il porte à sa partie inférieure un cuir embouti maintenu par une couronne en bronze boulonnée. Le corps du vérin lui-même est en fer forgé d'une épaisseur de 95 mm ; son diamètre extérieur est de 0,62 m et sa hauteur de 0,41 m.

La pompe qui actionne les vérins était portée sur un chariot pour la rendre transportable; elle avait une course de 6 cm; le diamètre du tuyau de refoulement était de 6 mm : on l'actionnait à bras à l'aide d'un grand levier métallique.

Avant de sortir des ateliers des constructeurs, tous les appareils avaient été essayés à une pression de 600 atmosphères, qui correspondait à un effort de 900 tonnes sur le piston.

Le contre-sabot d'un arbalétrier

Le contre-sabot d'un arbalétrier

Ce vérin était introduit entre les deux sabots par une ouverture ménagée sur l'une des parois; le refoulement de l'eau à sa partie inférieure permettait de faire monter de la hauteur convenable le contre-sabot portant l'arbalétrier.

Les vérins, qui étaient au nombre de deux, étaient capables de soulever simultanément deux arbalétriers, même en supposant la Tour complètement achevée. Nous avons vu, en effet, que la réaction d'un arbalétrier sous l'effet du poids propre ne dépasse pas 723 tonnes. On pouvait donc produire des efforts capables de régler les niveaux relatifs des pieds de la Tour, même après son complet montage, comme on règle un niveau ordinaire à l'aide de vis.

Le départ des piles de la tour Eiffel

Le départ des piles de la tour Eiffel

Photos reproduites avec l'aimable autorisation de L'Illustration.com.

Ces appuis, dont la plupart des faces étaient soigneusement dressées, ont été exécutés aux aciéries d'Imphy. Les poids et prix ont été les suivants :

  • Sabot inférieur en fonte : 5 782 Kg à 17,50 = 1 011,85
  • Contre-sabot en acier moulé : 2 551 Kg à 46,20 = 1 178,56
  • Total : 8 333 Kg à 2 190,41 francs
  • Comment il y en a 16, le prix est de 35 046,56 francs
  • Les 2 vérins et la pompe foulante avec ses raccords et ses tuyaux ont coûté : 5 250 francs

La pose de ces appuis, faite avec la plus grande précision possible, a été terminée dans le courant de juin, et le 1er juillet on put procéder au montage de la partie métallique proprement dite.


Techniques de montage jusqu'au 2e étage

C'est le 1er juillet 1887 que commença ce montage, qui s'effectua, au fur et à mesure des livraisons faites par l'usine, par les moyens les plus simples.

On fit usage de grandes bigues de 22 m de hauteur, qui d'abord reposaient sur le sol. Ce mode d'opérer, qui ne pouvait s'employer avec quelque avantage que pour des hauteurs restreintes, était d'autant plus applicable dans la circonstance qu'aucune des pièces à soulever ne dépassait le poids de 3 000 kg.

Nous nous étions fixé ce poids relativement faible comme une limite qui ne devait être dépassée que tout à fait exceptionnellement. Elle était en effet de nature à nous donner un montage économique et rapide; avec des pièces très lourdes, on est obligé de se servir d'engins de levage très puissants, difficiles à installer et à déplacer; toutes les installations du chantier s'en ressentent, elles deviennent plus importantes et plus coûteuses. Les risques d'accident augmentent et, s'il s'en produit, les conséquences en sont beaucoup plus graves. Il est vrai que le nombre des rivets à poser sur place augmente en raison même de la diminution de longueur des tronçons et du plus grand nombre de joints; mais cet inconvénient est très largement compensé par la facilité que procure la manœuvre de pièces relativement légères.

Les pièces arrivaient de l'usine sur des camions qui venaient se présenter sous la grue roulante placée à l'entrée du chantier. De là, elles étaient chargées sur des wagonnets qui, par quatre voies divergentes, les conduisaient à remplacement de chacune des piles. Les bigues les montaient dans leurs places respectives. Les premiers tronçons coiffant les sabots étaient étayés par des pièces de bois jusqu'à ce que les entretoisements vinssent les lier entre eux et s'opposer à leur renversement. On superposa ainsi trois tronçons successifs, dont la hauteur dépassait le milieu du premier panneau.

Avant de passer aux tronçons suivants, on mit en place toutes les pièces de liaison telles que grandes poutres horizontales des faces, treillis et pièces diagonales. Puis la position de toutes les parties de cette base était vérifiée par des mensurations rigoureuses et plusieurs fois contrôlées. Elles se faisaient à l'aide de règles construites d'après le mètre étalon qui avait servi au traçage des pièces à l'atelier. Quand on se fut assuré des positions respectives et des niveaux de toutes les pièces de cette base, on put marcher avec assurance.

Une fois les premiers tronçons placés, il était préférable d'employer des moyens moins primitifs, et c'est ce que l'on fit pour la pile 3 en installant, le 2 septembre, la première grue de montage qui nous fut livrée et dont nous parlerons en détail plus loin.

Mais comme les autres grues ne nous furent livrées que plus tardivement, le montage des autres piles se fit en grande partie avec les bigues employées pour la base, en les relevant progressivement sur des planchers portés par la construction elle-même.

Maquette du pilone de butée

Maquette du pilone de butée

Par l'un ou l'autre de ces moyens, on mit en place les tronçons successifs jusqu'à la partie supérieure du deuxième panneau ; ces tronçons étaient reliés au fur et à mesure par les pièces qui les entretoisaient, et on procédait de suite à leur rivure.

Mais comme ces tronçons étaient inclinés de 54° environ suivant le plan diagonal, il devait arriver bientôt un moment où le centre de gravité du montant tomberait en dehors de la base formée par les appuis et ferait travailler les boulons d'anerage.

Le calcul nous avait montré que l'on ne pouvait dépasser la hauteur de 28 m correspondant à l'entretoise limitant le panneau 2; cette hauteur fut atteinte le 10 octobre 1887. Le poids des pièces ainsi montées s'élevait à 900 000 Kg environ; le nombre des rivets posés à 98 000. Pour s'opposer au renversement et pouvoir continuer au delà le montage jusqu'au niveau de la première plate-forme, il était devenu nécessaire de construire des échafaudages sur lesquels devaient venir s'appuyer les trois arêtes des montants les plus rapprochées de l'axe de la Tour.

Voir aussi : Description des étages.


Pilone de butée

Ces échafaudages étaient constitués par quatre pylônes pyramidaux semblables, de telle sorte que la réaction due à l'inclinaison et qui devait s'élever pour chacun des montants à 155 tonnes environ après le montage des quatre premiers panneaux, fût supportée par ces quatre pylônes, dont deux accolés étaient placés sous l'arête médiane, et deux séparés placés sous les deux autres arêtes, ainsi que le montre le dessin de la maquette que nous avions établie.

Ces grandes réactions, dans un cas extrême, pouvaient se reporter sur deux des pylônes seulement, ce qui donnait pour chacun d'eux une charge de 80 tonnes. Pour assurer une sécurité parfaite, ils ont même été calculés pour une charge très notablement supérieure, soit 120 tonnes environ.

Leur fondation devait aussi être très solidement établie; elle nécessitait l'emploi d'un nombre convenable de pieux battus au refus. Ce nombre est de 8 par pylône, ce qui donne une charge par pieu d'environ 15 tonnes, qui se réduit dans le cas maximum de la pratique à 10 tonnes; l'ensemble des échafaudages d'un montant comportait ainsi l'emploi de 32 pieux.

Ces pieux, de 0,35 m de diamètre, avaient une fiche de 6 m de longueur pour les piles 2 et 3 et de 9 m pour les piles 1 et 4. Ils ont été battus par une sonnette à vapeur au refus de 0,10 m pour les dix derniers coups d'un mouton de 1000 Kg tombant de 1,80 m. Quelques-uns d'entre eux pour les piles 1 et 4, placés au-dessus de la déviation de l'égout, ont été remplacés par des pièces de bois descendant au niveau des maçonneries et établies au fond de fouilles spéciales.

L'échafaudage qui les surmontait (voir Planche XXV, fig. 1, 2, 3, 13 et 14) était en forme de pyramide quadrangulaire avec deux faces verticales. Sa base était de 8,50 m de côté et sa hauteur de 27,40 m. Les pièces principales étaient formées par des poutres équarries de 0,27 m de côté; elles étaient entretoisées par 7 rangées de moises de 0,25 x 0,12 m et contreventées sur les quatre faces de la pyramide par des bois de 0,22 x 0,22 m formant croix de Saint-André.

Le cube des pieux employés pour les pylônes des quatre piles a été de 85 m3. Celui de chaque pylône était de 23,1 m3, soit pour une pile 23,12 x 8 = 92,504 m3, et pour l'ensemble de la Tour 374 m3 y compris le plancher reliant les pylônes.

Echafaudage d'élévation des piles

Echafaudage d'élévation des piles


Boîtes à sable

La construction en fer ne reposait pas directement sur les têtes des pylônes ; on se servait comme intermédiaires de boîtes à sable représentées dans les figures 11 et 12 de la planche XXV.

On avait tout d'abord rivé sur les tronçons de robustes sabots provisoires en fer, représentés en plan dans la figure 5 de la planche XXV pour l'arbalétrier médian, et dans la figure 9 pour les arbalétriers latéraux. Les premiers présentent une table inférieure horizontale de 14 mm d'épaisseur, épousant la forme de l'arbalétrier et ayant une longueur de 1,65 m sur 1,03 m. Elle est maintenue par six fortes consoles en tôles et cornières de 1,33 m de hauteur, rivées sur les faces de l'arbalétrier. Les autres ont une table de 0,877 m sur 0,908 m maintenue par 3 consoles semblables aux premières. Les consoles sont réunies entre elles par des entretoisements et reliées en outre par des cornières provisoires à la grande entretoise voisine.

Les boîtes à sable sont des cylindres en tôle de 0,50 m de hauteur et de 0,40 m de diamètre qu'on remplit en partie de sable très sec et dans lesquels on introduit un tampon de chêne fortement fretté de 0,50 m de hauteur, formant piston. Le cylindre porte à sa base un trou que l'on ferme avec une fiche en bois. Si l'on retire cette fiche et que l'on gratte par l'ouverture le sable contenu dans le cylindre, ce sable s'écoule, mais l'écoulement s'arrête dès qu'on ne le provoque plus. Il s'ensuit qu'on peut régler la descente du piston avec une extrême lenteur et l'arrêter exactement comme on le désire.

Par ce moyen, on se réservait donc de pouvoir abaisser la construction métallique portée par les échafaudages de butée, ce qui devait servir plus tard à l'amener exactement à sa place définitive. On pouvait également produire des relèvements à l'aide de vérins hydrauliques ordinaires placés à côté des boîtes à sable et prenant leur point d'appui sur le sommet du pylône. Comme, en outre, la manœuvre des vérins hydrauliques placés sous les appuis permettait de soulever ou d'abaisser les arbalétriers des montants, on disposait, par la combinaison de ces divers modes d'action, de moyens de réglage très sûrs qui mettaient absolument dans la main du contremaître de montage le déplacement de ces grosses masses à l'aide de trois ou quatre hommes seulement, sans que le travail fût interrompu et sans même que l'on s'en aperçût.

C'était merveille, dit M. Alfred Picard, de régler la position de masses si considérables, comme un géomètre règle son niveau à bulle d'air à l'aide de vis.

Montage des poutres du 1er étage

Voir la planche XXV, figure 15 à 18

Ces poutres ont 7,834 m de hauteur et font un angle de 63,18° avec le plan vertical; elles sont situées dans les plans des faces extérieures et intérieures de la Tour et par suite distantes de 15 m d'axe en axe.

Des entretoises à treillis, ayant la même hauteur que les poutres, les relient deux à deux perpendiculairement. L'ensemble de ces poutres avec leurs entretoises ne pesait guère plus de 70 000 kg pour une face; mais ce qui rendait leur montage difficile, c'était la grande hauteur à laquelle on devait le faire et aussi la forte inclinaison des poutres qui obligeait à les étayer jusqu'au moment où on les avait reliées, deux à deux, par leurs entretoises. Enfin, par raison d'économie, les échafaudages sur lesquels on les montait n'avaient pas été établis sur la longueur entière des poutres, ce qui forçait à commencer le montage des poutres par la partie centrale et à les faire cheminer progressivement par les deux extrémités en montant en porte-à-faux leurs parties extrêmes jusqu'à leur rencontre avec les piliers principaux.

On avait construit à cet effet quatre échafaudages semblables, un dans chaque face de la Tour. Ils avaient 41 m de hauteur et se composaient de neuf montants verticaux de 25x25, espacés de 7,50 m dans un sens et de 7,75 m dans l'autre. A cause des faibles charges que devait supporter l'échafaudage, on n'avait pas jugé utile d'enterer ces poteaux sur des pieux battus dans le sol, comme cela avait été fait pour les échafaudages de butée; ils s'appuyaient simplement sur des semelles reposant sur le terrain. Ils étaient contreventés dans tous les sens par des croix de Saint-André formées par des bois de 0,22 x0,11 m et reliés horizontalement par sept cours de moises de 0,25 m x 0,12 m. Des contrefiches disposées à leur partie supérieure permettaient de donner à la plate-forme de montage 28,50 m de longueur sur 22,40 m de largeur. Enfin une autre série de contrefiches montant un peu moins haut que celles qui supportaient la plate-forme de montage soutenaient un cintre, qui servit plus tard à mettre en place la partie centrale des arcs décoratifs. Chaque échafaudage comportait 215 m3 de bois, ce qui donnait un cube total de 885 m2 pour les quatre, y compris 185 m3 de platelage et 25 m2 de calage.

Le montage proprement dit des poutres horizontales n'offrait rien de particulier; il s'effectuait au moyen de chèvres établies sur la plate-forme. Quand il fut terminé, on procéda au raccord de ces poutres avec les montants.

C'était le moment particulièrement difficile de l'opération. Les quatre montants surplombant les échafaudages de butée d'un porte-à-faux d'environ 26 m semblaient, avec leur grande inclinaison, être sur le point de se renverser. Ils avaient à ce moment une longueur de 58 m et pesaient près de 400 000 kg. C'étaient ces grands prismes d'un poids énorme, dont les dimensions étaient voisines de celles des tours de Notre-Dame, qu'il s'agissait de manoeuvrer de manière à les amener en contact avec les poutres horizontales avec lesquelles ils devaient se jonctionner, et il fallait arriver à opérer ces mouvements avec une précision telle que les trous de rivets percés à l'avance dans les goussets de jonction des poutres et des montants vinssent absolument en regard les uns des autres. C'est au moyen des boîtes à sable portées par les échafaudages de butée et au moyen des presses hydrauliques, que nous avons décrites précédemment, qu'on effectua cette manœuvre. Agissant tantôt sur un arbalétrier, tantôt sur un autre, soit pour l'abaisser, soit pour le relever, on arriva à obtenir le contact désiré.

L'implantation des quatre montants était si exacte, leur exécution si parfaite, qu'on put arriver à les assembler avec les poutres de ceinture sans qu'il fût besoin de donner un coup de burin pour retoucher les pièces en contact, ni un coup d'alésoir pour augmenter le diamètre des trous qui devaient recevoir les rivets d'assemblage (fig. 119).

Schéma d'élévation de la grue

Schéma d'élévation de la grue

C'était l'opération la plus délicate du montage de la Tour et, du moment qu'elle avait réussi, le succès final était assuré. Les montants étant réunis par les premières poutres-ceintures formaient comme une table solide, largement assise et dont la vue seule suffisait pour écarter toute crainte de renversement. On n'avait plus à redouter d'accident d'ensemble et les accidents partiels qui auraient encore pu se produire n'auraient pas été de nature à compromettre l'achèvement de la construction.

Une fois faite la jonction des montants et des premières poutres horizontales, la mise en place des nombreuses poutres formant les planchers du premier étage, se fit sans aucune difficulté. Les hommes travaillaient sur des plates-formes en charpente, aussi commodément installés que dans un atelier. On arriva ainsi au niveau du premier étage, soit à 57,63 m au-dessus du sol du Champ-de-Mars.



Voir aussi :

Construction de la tour Eiffel

Histoire de la tour Eiffel


La tour Eiffel



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